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Une agglomération multipolaire, verte et « marchable », par Nicole Surchat Vial

By 28/04/2020avril 29th, 2020No Comments

En cette période de confinement et d’incertitude, le Cercle Suisse des Administratrices propose une série d’articles et de témoignages de ses membres administratrices. Chacune nous livre, à sa manière, son point de vue sur la situation économique actuelle.

Retrouvez tous les articles de la série sur www.csda.ch/comite-de-redaction. Ces articles ne reflètent pas forcément la position du Cercle Suisse des Administratrices et n’engagent que leur auteure.

 

Aujourd’hui, Nicole Surchat Vial nous propose “Une agglomération multipolaire, verte et « marchable » !”

 

La crise du coronavirus interroge l’organisation spatiale et sociale de nos villes.La crise du coronavirus interroge l’organisation spatiale et sociale de nos villes. Les urbanistes auront à équilibrer densification durable et distanciation sociale. Toutefois, la densité du bâti demeure l’essence de l’urbanité : elle favorise le lien social et sa diversité. Comme elle optimise l’usage énergétique et économise les infrastructures. Par ailleurs, l’usage des transports publics sera freiné. Je vous suggère quelques options pour le Grand Genève, généralisables à d’autres situations par un nouveau plan Wahlen.

Des villes moyennes de 100’000 habitants

En substance, la ville post Covid-19 bénéficiera d’un cœur d’agglomération, organisé en arrondissements (par exemple : Cité, Petit-Saconnex, Plainpalais, Eaux-Vives) relié à des centres régionaux (Versoix, Nyon ou St-Julien, etc.) dont les axes structurants formeront la multipolarité, sur le modèle du projet d’agglomération de première génération (voir https://www.grand-geneve.org sous médiathèque). Dans chacun de ces pôles régionaux rejaillira la notion de quartier, avec toutes les qualités agréables ou utiles associées à cette urbanité retrouvée. En 1960, Kohr (Nobel alternatif en 1983) vantait déjà ce modèle : des villes « moyennes » (100’000h). Elles comportent toutes les aménités urbaines, reposent sur la campagne environnante pour être approvisionnées et pour les loisirs. Elles possèdent la taille nécessaire pour offrir une université ou un opéra. Il s’agit des mêmes villes dans lesquels les habitants sont d’ores et déjà les moins dispendieux en CO2.

Urbanisation, agriculture et nature

Dans ces centres, les noyaux urbains pourront être composés d’îlots, sur le modèle de Cerdà à Barcelone, ou des chesaux (parcelle de terrain sur laquelle est bâtie la maison) des villes de fondation du plateau suisse. Ces morphologies promulgueront un nouveau modèle de densité : une répétition sérielle homogène qui façonne une trame avec des rues larges (20 à 50m) plantées d’arbres et de végétation. Ces îlots d’habitations, sur le modèle du square du Mont-Blanc ou des Superillas de Barcelone (espaces urbains avec trafic, vitesse et stationnement réduits, pour maximiser l’espace public pour les piétons et vélos), vastes, carrés, aérés intégreront des jardins potagers et d’agréments. Les espaces d’agriculture urbaine pourront fonctionner comme lieu l’approvisionnement et comme extension du logement. Il s’agira de veiller au contrôle des prix du foncier et du logement selon le modèle de la zone de développement genevois.

square du mont blanc genève

Square du Mont-Blanc, Genève. A futur des îlots d’habitations vastes, carrés, aérés qui intégreront des jardins potagers et d’agréments © CNES, Spot Image, swisstopo, NPOC

 

Si la question territoriale reste essentielle, elle ne fera pas l’économie d’une réflexion conjointe et profonde sur les typologies de logements. En effet, les solidarités nées des périodes de confinement ont fait apparaître un besoin de lien social accru. La distanciation sociale a rapproché ! Les architectes et urbanistes auront à inventer non seulement une densité qui marie nature et agriculture mais également de nouvelles formes résidentielles : les prolongements extérieurs avec un usage retrouvé du sol et surtout des espaces collectifs, sur le modèle des clusters, mais également des espaces supplémentaires pour le télétravail. La fonction oblique de la façade réutilisera toutes les prolongations possibles de l’habitat (terrasses, balcons généreux, etc.). Ce modèle de proximité permettra d’habiter, de travailler et de se déplacer, principalement à pied, à vélo.

Ralentir les déplacements

Pour connecter ces villes moyennes et s’y déplacer, la lenteur des transports (20-30km/h) sera de mise. Car l’accélération d’un flux conduit à l’embouteillage ! Après les restrictions d’usage des transports liée à pandémie, les véhicules individuels risquent de prendre une place hégémonique. Grâce aux déplacements plus lents, la vie effrénée pourra, elle aussi, ralentir. Une ville « marchable », remarquable par ses courtes distances où les allées et les avenues inciteront à la mobilité douce.

Un nouveau plan directeur régional

En 1942, le plan fédéral d’assolement (Wahlen) visait à garantir l’autosuffisance alimentaire. Il est temps d’en inventer un nouveau – par le biais d’une task-force d’experts –  pour dessiner un nouveau paradigme urbain. Certaines des pistes évoquées peuvent se décliner dans l’immédiat (transformation des espaces bitumés en agriculture ou jardins) alors que d’autres nécessiteront le temps de la transformation urbaine en profondeur.

Pour Genève, le plan Braillard de 1936 peut servir de fondement identitaire à l’interpénétration de la nature et du bâti, tout en mettant en exergue l’importance des équipements et des espaces publics. Marchons sur un réseau vert qui relie ces futures colonies d’habitations, d’entreprises, décentralisées, connectées par un système de mobilité lent.

(c) Nicole Surchat Vial 

Nicole Surchat Vial est architecte, epfl, docteur en urbanisme de l’université de Genève, professeure à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR) et administratrice indépendante. Elle est membre du Cercle Suisse des Administratrices depuis 2017.