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Dessine-moi un quartier ! par Nicole Surchat-Vial

Dessine-moi un quartier !

Avril/Mai 2021 – Série N°4

Au sommaire de cette nouvelle série d’articles proposée par les membres du Cercle Suisse des Administratrices : dessiner la ville, viser la lune, valoriser les diamants bruts, repenser le lean, dynamiser les réseaux professionnels. Une variété de sujets qui témoigne, une fois encore, de la nécessité de penser la gouvernance d’entreprise à 360 degrés afin d’actionner tous les leviers pour saisir les opportunités !

Retrouvez tous les articles de l’actuelle série, et des précédentes, sur www.csda.ch. Ces articles ne reflètent pas forcément la position du Cercle Suisse des Administratrices et n’engagent que leur auteure.

Aujourd’hui, Nicole Surchat-Vial vous propose “Dessine-moi un quartier!”

 « Ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans » (Saint -Exupéry – Le Petit Prince).

A trop préciser les contours du bâti on déçoit les attentes des usagers et des faiseurs de ville (architectes, promoteurs, population), comme le Petit Prince et son mouton.

Dessiner la ville se joue à l’échelle du quartier et impacte notre mode de vie, de consommer, de travailler. Le confinement a mis en exergue cette distanciation sociale qui nous a rapproché.  Cette composition concerne les entreprises et leurs dirigeants, les conseils d’administration dont les orientations stratégiques cherchent à coïncider avec un monde plus durable.

La fabrique du quartier

L’urbanisme utilise l’outil du plan de quartier pour organiser l’espace de nos villes, assurant que ce mode de faire garantira la qualité de notre environnement quotidien. On y parvient lorsqu’un dialogue s’instaure entre le contexte spatial et la morphologie du bâti. Dans la plupart des villes suisses l’usage de cet outil est obligatoire pour optimiser les conditions de bâtir.

A quoi sert un plan de quartier ? Ses rôles font consensus : pour les citoyens, mettre à disposition des logements à des prix abordables[1]. Les promoteurs peuvent évaluer la faisabilité financière et juridique. Les riverains  ont la possibilité de connaître leur voisinage futur.  L’architecte cherche une marge de manœuvre suffisante pour la concrétisation de son projet. Les communes obtiennent une visibilité sur le développement de leur territoire et une validation démocratique. Et pour tout un chacun ce plan de quartier instaure un moment de concertation entre les parties prenantes.

Mais chacun de ces protagonistes trouve à redire quant à la forme du plan. En effet, on assiste à une définition toujours plus précise et stricte des périmètres constructibles, à tel point qu’arrivée à l’autorisation de construire, une grande partie des permis nécessite des dérogations. Cet excès de règles découle de la multiplication des politiques publiques qui fonctionnent en silo, sectoriellement avec des objectifs contradictoires : par exemple, on veut des pistes cyclables, prises sur l’espace routier, en découle une congestion du trafic qui engendre la pollution de l’air. Ou alors, on souhaite des commerces au bas de chez soi, mais les nuisances de bruit empêchent d’implanter un café, etc. La banalisation des morphologies urbaines et des espaces publics aboutit à une somme de barres ou de plots dans des parcs, un bitume tous azimuts facilitant le déneigement, des parkings aux pieds d’immeubles. Aujourd’hui, avec un plan de quartier en force, il ne reste à l’architecte que le dessin de la façade, tout le reste est contraint !

Que dessiner ?

« Non ! Non ! Je ne veux pas d’un éléphant dans un boa. …Chez moi c’est tout petit. J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton. » (Saint -Exupéry).

Le plan de quartier pratiqué actuellement définit les périmètres d’implantation des bâtiments de manière tellement précise qu’il y a zéro marge de manœuvre. Dans l’idéal, que dessiner pour satisfaire à ce besoin de ville durable, de qualité ?

Il faut s’abstraire de cette rigidité. Pour une composition spatiale de qualité, il suffirait de définir un front bâti sur la rue, aligné avec les bâtiments voisins, formant ainsi une continuité, un sentiment d’urbanité côté rue (à l’inverse des fameux plots dans un parc). Comme au théâtre côté cour et ici côté rue, ne seront pas identiques : une façade au rôle de représentation sur la ville, et l’arrière ouvert sur un monde plus secret. L’indication des connexions pour accéder au centre du quartier doit également figurer, de manière à mettre en réseau ce nouvel espace avec les autres quartiers. Suivent les espaces verts, perméables, une végétation (cf. en schéma en haut à gauche) où se mettre à l’ombre, protégeant des îlots de chaleur. Les enfants jouent dans la terre, les adultes plantent même quelques légumes ! And last but not least, les aires d’évolution des bâtiments. Les nouvelles constructions pourront être carrées, rectangulaires, rondes, en angle, alignées, dispersées … une diversité qui répondra à un besoin actuel et futur, car ces périmètres sont plus grands (cf. schéma en haut à droite) que les surfaces de constructions autorisées.

©Feddersen

 

« Il regarda attentivement, puis : non ! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre. Je dessinai… » (Saint -Exupéry

L’espace public !

Le bonheur est dans le pré, ou dans tous les cas en ville, dans l’aménagement des espaces ouverts, publics et privés.

©Friglâne – Mazzapokora, Muller, Schifferli

Les pieds des immeubles du quartier de Friglâne à Fribourg sont attractifs. Cet espace public, collectif, nous appartient pour vivre ensemble, partager un lien social, celui qui nous a tellement manqué pendant le confinement. Comme l’espace privé protège notre vie personnelle, l’aménagement urbain extérieur offre la possibilité de l’interaction. Et c’est bien le rapport entre ces deux espaces, ce seuil où l’attention doit être portée.

©Feddersen

 

« Je refis donc encore mon dessin. Mais il fut refusé, comme les précédents… » (Saint -Exupéry)

Ma voiture, cette reine ?

Les gaz d’échappement des voitures provoquent pollution et réchauffement climatique. Dans les objectifs écologiques de transfert modal (du mode transport individuel à collectif) les cheminements piétons et vélos sûrs et connectés manquent. Regardez ce trou béant de la rampe d’accès au parking, je pourrais dessiner des ailes à mon vélo, mais impossible de prendre mon envol pour la franchir. Il nous faut donc compléter notre panoplie de plan de quartier par des accès voiture de plain-pied. On évitera ainsi ces césures, nous pourrons connecter tous les chemins.

« Mon ami sourit gentiment, avec indulgence. Tu vois bien… ce n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a des cornes… Je refis donc encore mon dessin. » (Saint -Exupéry)

Une maison bleue

La ville blanche, Moscou la rouge, la ville émeraude, une maison bleue adossée à la colline, la merveille des couleurs agit sur notre bien-être. Les patchworks pastel du nord égaillent les longues nuits d’hiver, les reflets scintillants des tours de verre renvoient le soleil, la molasse verte de la Fribourg médiévale l’assoit sur son éperon. La touche finale sera couleur, vermeil, abricot, melon, ocre, cuivre, acajou, outremer, azur, acier, majorelle, indigo, pervenche, fuchsia, framboise, saumon, châtaigne, café, sépia, sang, rubis, carmin. Comme une partition à mille notes, il s’agit de faire jouer le clavier de la lumière sur notre rêve de ville, alors les constructions se parent de couleurs plus vives ou de façades-miroirs qui se teintent au rythme des saisons.

« Ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans ». (Saint -Exupéry)

I have a dream

En vous saisissant de cette notion de composition, en amont de vos investissements, vous actionnez un levier puissant pour modifier la configuration de notre environnement. Le cadre législatif est largement suffisant pour y glisser ce mode de faire. Les pratiques administratives doivent elles, se desserrer ! Un bon prototype vaut souvent mieux que de longs discours. Osez, tentez, construisez dans ce nouveau mode de faire, vous convaincrez que plus de libertés peut être gage de qualité et de réponses innovantes aux attentes exacerbées par la crise traversée.

 

#quartier #ville #responsable #développeur #margesdemanoeuvre #espacepublic #petitprince

 

(C) Nicole Surchat Vial, 11 mai 2021, pour le Cercle Suisse des Administratrices

[1] En zone développement le prix est contrôlé par l’Etat – on obtient ainsi un prix abordable – et c’est via le PLQ (plan localisé de quartier) qu’on déclenche une possibilité de densification