Actu

“Enjeux climatiques: les Conseils d’Administration à la peine” par Sara Gnoni

Série n°5

Une nouvelle série d’articles proposée par les membres du Cercle Suisse des Administratrices. Retrouvez tous les articles de cette série, et des précédentes, sur www.csda.ch. Ces articles ne reflètent pas forcément la position du Cercle Suisse des Administratrices et n’engagent que leur auteure.

Aujourd’hui, Sara Gnoni vous propose “Enjeux climatiques: les Conseils d’Administration à la peine”.

Sara Gnoni: les conseils d'administration à la peine sur les enjeux climatiques


Les conseils d’administration prennent conscience de l’importance des enjeux climatiques mais peinent encore à prendre des mesures concrètes. Serait-il temps de « Look up ? »

Après une année 2021 où les catastrophes liées au changement climatique se sont enchaînées sous nos yeux : Allemagne, Grèce, Turquie ou plus loin au Canada et aux États-Unis, les attentes de la part de la société civile et des investisseurs pour plus de responsabilité de la part du secteur privé ne peuvent plus être esquivées.

Si les conseils d’administration semblent avoir pris conscience de ces attentes et de l’importance des enjeux climatiques, la majorité d’entre eux peinent encore à prendre des mesures concrètes. C’est ce que révèle clairement une étude publiée en décembre 2020 par le cabinet Heidrick & Struggles en partenariat avec Chapter Zero France et l’école de commerce INSEAD. Cette étude, dont l’objectif était d’analyser la compréhension des conseils d’administration autour des questions climatiques ainsi que la manière dont le changement climatique est intégrée dans leurs responsabilités, a été réalisée auprès 300 administrateurs dans plus de 40 pays.

Oui, les administrateurs ont conscience de l’enjeu climatique

Sans vraiment relever si les personnes interrogées ont pris conscience du risque existentiel que le dérèglement du climat posait, 75% des membres de conseils d’administration interrogés considère que la prise en compte du changement climatique est très importante pour la réussite de leur entreprise. Il semble également y avoir un bon alignement parmi les administreurs/ices sur le sujet, puisque 60% indique que leur conseil est très ou entièrement aligné sur l’importance du changement climatique et la manière de l’adresser. De plus, 63% considère que leur conseil d’administration a une bonne compréhension des risques et des opportunités créés par le changement climatique, et 72% affirme être confiants que leur entreprise réussira à atteindre ses objectifs climatiques. Ces résultats sont plutôt encourageants et attestent d’une réelle prise de conscience de l’importance de l’enjeu de la part des membres des conseils d’administration, encore faut-il que les dits objectifs climatiques soient pertinents, réalisables et en accord avec la trajectoire de 1.5C°.

Non, ils ne font pas grand-chose

Et c’est précisément là où le bât blesse : malgré une prise de conscience évidente, l’étude révèle également que la majorité des conseils d’administration peine à traduire ces considérations en actions concrètes. En effet, 43% des participants interrogés ont répondu que leur entreprise n’avait pas d’objectifs clairs de réduction des émissions de gaz à effets de serre.

Comment agir concrètement en effet, dès lors que la compréhension des enjeux reste fragmentaire ? Combien d’administratrices ou administrateurs peuvent parler avec aisance des limites planétaires, de la chute de biodiversité – ou 6ème extinction de masse -, résumer les points clés 6ème rapport du GIEC ? Combien  sont équipés pour évaluer les risques que ces facteurs représentent pour leur entreprise et plus globalement la société ?

A l’évidence pas beaucoup puisque 85% des répondants considère que leur conseil d’administration devrait être doté de meilleures connaissances sur ces questions. Selon les auteurs de l’étude, ce phénomène s’explique d’une part par le fait que ceux qui sont compétents sur ces sujets manquent souvent de l’expérience managériale nécessaire pour intégrer un conseil d’administration, et d’autre part car les administrateurs expérimentés n’ont en général pas suffisamment de connaissances sur les effets et conséquences du changement climatique. Une explication complémentaire avancée par les auteurs: rares sont les entreprises pour lesquelles avoir des connaissances environnementales sont un critère essentiel pour faire partie du conseil d’administration. En effet, 69% des participants affirment que des connaissances liées au changement climatique ne sont pas un critère pour rejoindre leur conseil d’administration, et 65% ajoutent qu’elles ne sont pas un critère dans la sélection du CEO de leur entreprise. Les actionnaires ne semblent pas inquiets que les personnes qui dirigent leur société ne soient pas au fait du plus grand défi auquel notre civilisation va devoir faire face. Cela pourrait changer cependant comme l’a récemment montré le cas Exxon.

Alors comment fait-on pour lever les yeux ?

La principale recommandation de l’étude est naturellement l’inclusion des connaissances liées au changement climatique dans les compétences clés du conseil d’administration. Former les administrateurs en poste, voire inclure des experts ou d’autres voix pertinentes dans le conseil d’administration constituent d’autres pistes privilégiées. Les auteurs vont plus loin et recommandent d’inclure la question climatique dans tous les aspects de l’entreprise où cela a un sens stratégiquement. Cela inclut, entre autres, des objectifs concrets de réduction des émissions de GES (gaz à effet de serre), le renforcement de la structure de gouvernance ou encore l’élaboration de rapports de performance ESG (Environnemental, Social et Gouvernance).

Précisons que le modèle d’affaires même de l’entreprise se doit d’être questionné : il est en effet inutile de se fixer des objectifs de neutralité carbone si la mission de l’entreprise est destructrice par nature.

La réglementation va dans le bon sens

Souvenons-nous de l’initiative pour des multinationales responsables : bien que le texte ait été rejeté dans les urnes en novembre 2020, un contre-projet prévoyant des nouvelles directives en matière de rapport climatique est entré en vigueur le 1er janvier 2022. Ce texte prévoit que les grandes entreprises suisses devront établir un rapport mettant en évidence les risques financiers liés au changement climatique pour leur activité ainsi que leur impact sur le climat et l’environnement. Ces mesures devront être appliquées pour la première fois par les entreprises en 2024. Par ailleurs, la nouvelle loi, actuellement en consultation, va demander aux grandes entreprises de mettre en place un rapport climatique. Récemment, la création de l’ISSB, qui édictera les normes de reporting climatique deviendra la norme internationale. Il vaut donc mieux s’y préparer le plus tôt possible.

Que faire de mieux que d’exiger des administratrices et administrateurs de se former aux plus grands enjeux de notre civilisation ? Il est grand temps de ne plus détourner le regard et appréhender la responsabilité d’entreprise en pleine considération des défis qui se posent à nous.

 

(c) Sara Gnoni

Sara Gnoni est experte-comptable diplômée, titre acquis alors qu’elle travaillait chez KPMG, avant de poursuivre sa carrière chez PwC. Elle a audité les comptes de nombreux clients d’envergure internationale pendant 11 ans. En 2014 elle a entamé un changement de direction en se formant dans l’environnement avant de créer sa propre société The Positive Project. Elle se consacre maintenant au travers de son travail, des son engagement associatif, politique et militant à sensibiliser et former son entourage et ses clients à l’urgence environnementale. Elle fait également partie de plusieurs conseils de fondation et administration.

#boardofdirectors #boarddiversity #climatechange #netzero2030 #climateemergency #csda #insead #chapterzero #boardroom #heidrick&struggles #climateaction #dontlookup #biodiversity #dontchooseextinction #biodiversityloss #ISSB

 

Références

Confédération Suisse, (2021). Le Conseil fédéral fixe les lignes directrices pour le rapport climatique des grandes entreprises suisses. https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-84741.html

Confédération Suisse, (2021). Les dispositions visant à mieux protéger l’être humain et l’environnement entreront en vigueur le 1er janvier 2022. https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/aktuell/mm.msg-id-86226.html

Confédération Suisse (n.d.). Initiative populaire « Entreprises responsables ». https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/wirtschaft/gesetzgebung/verantwortungsvolle-unternehmen.html

Heidrick & Struggles, (2021). Changing the Climate in the Boardroom.

RTS Info (23 Août 2021). Les grandes entreprises devront révéler leur impact environnemental. https://www.rts.ch/info/economie/12433663-les-grandes-entreprises-devront-reveler-leur-impact-environnemental.html