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Dominique Faesch interviewée par Business School Lausanne: L’action des femmes dans les Conseils d’Administration d’aujourd’hui

Dominique Faesch, présidente du Cercle Suisse des Administratrices, a été interviewée par David Claivaz, doyen de la Business School Lausanne. Son interview est disponible en anglais sur le site de BSL: The action of Women in today’s Boards of directors.

L’action des femmes dans les Conseils d’Administration d’aujourd’hui

Prix CSDA 2021 : Dominique Faesch, présidente du Cercle Suisse des Administratrices (CSDA) à gauche, remet le prix du CSDA au gagnant Helvetia assurances, et sa présidente du CA, Mme Doris Russi Schurter.

 

 

 

Dans le cadre de son partenariat avec le Cercle Suisse des Administratrices (CSDA), Business School Lausanne accueillait une journée de formation destinée à des femmes actives ou se préparant à rejoindre un Conseil d’Administration. Mené par la journaliste Romaine Jean, le séminaire « Prise de parole en public » prépare ses participantes à maîtriser les différents aspects de l’expression directe.

A cette occasion, nous avons eu la joie d’interviewer Dominique Faesch, Présidente du CSDA, et de faire avec elle le point sur l’action des femmes dans les Conseils d’Administration.

Commençons par le commencement : à qui s’adresse le Cercle Suisse des Administratrices (CSDA) ?

Le CSDA compte environ 250 membres. 75% d’entre elles sont actives dans un Conseil d’Administration ou un Conseil de Fondation. Pour le CSDA, la qualité et surtout la responsabilité juridique d’administratrice existe dans ces deux formes. Ces administratrices en place dans des Conseils apprécient la visibilité et l’opportunité que nous leur donnons de réseauter. Nous augmentons chaque année le nombre de nos membres actives dans un Conseil. La qualité et l’importance de leurs mandats progresse chaque année. Cela crée une émulation. Le fait d’être membre du CSDA témoigne des compétences de nos membres dans leurs responsabilités d’administratrice. Important à savoir pour les jeunes cadres en progression de carrière : nous avons également 25% de places réservées à des membres qui n’ont pas encore exercé en Conseil d’Administration. Nous souhaitons leur offrir la possibilité de se former, de se rencontrer, une sorte de tremplin vers un premier mandat. Le nombre de place disponible pour les membres qui ne sont pas en fonction dans un Conseil est limité à 25% du total des membres au maximum. 

Au-delà du principe d’égalité, pourquoi est-il important que les femmes siègent dans les CA ?

Il y a un principe bien reconnu aujourd’hui, et que j’ai beaucoup pratiqué déjà au temps de mon MBA dans les années 2000 : un groupe travaille mieux s’il est composé de membres aux horizons divers. Je veux parler d’une diversité réelle, c’est-à-dire qu’on ne n’installe pas dans un ronron après s’être reconnus divers à l’origine. La seule diversité hommes-femmes ne suffit pas à éviter ce ronron. Il ne faut pas que s’installe un respect illimité, et qu’on perde de vue l’élément de concurrence. De concurrence respectueuse, naturellement. Cela permet la diversité des opinions dans le débat, qui génère le développement d’une intelligence collective.

Il faut aussi des soft skills qui permettent d’écouter l’autre quand il s’exprime avec un vocabulaire différent. L’ingénieur, le financier ne parlent pas exactement le même langage. Les softs skills permettent une écoute et une envie d’apprendre ce que l’autre amène comme expériences et expertises. La diversité et la capacité d’écoute visent le succès de tous. Arrivé au niveau du Conseil, on ne devrait plus avoir d’ego personnel. Cette approche collégiale est importante aujourd’hui, car le Conseil vise la pérennité de l’entreprise, et plus seulement l’objectif de dégager des dividendes. Aujourd’hui, le Conseil est garant de la stratégie, de la compliance des données chiffrées, mais surtout d’assurer la pérennité qualitative de l’entreprise pour les stakeholders, les actionnaires mais aussi les collaborateurs, les fournisseurs, les clients, son environnement public. Il faut un groupe qui travaille en collège, qui à la fois arrive au consensus, mais en ayant challengé les décisions portées à l’ordre du jour. Cela fait partie la bonne orchestration d’un Conseil qui est dans les mains d’un-e président-e exigeant et à l’écoute.

La diversité que sert la présence des femmes n’est pas seulement la mixité, mais surtout la diversité des compétences nécessaire différemment et à plusieurs étapes de progression, selon le cycle de vie de l’entreprise.

Vous avez vu l’effet de la présence des femmes ?

Dans un Conseil où il n’y a que des hommes, l’arrivée d’une femme pose question. On ne sait pas trop quels vont être les niveaux d’expériences et de compétences qu’elle pourra apporter.  Certains pensent à son côté émotionnel. Il y a toujours des veilles idées de ce genre. J’espère qu’au sein d’un collège, si la femme est compétente, sa personnalité surpassera tout stéréotype, en d’autres termes, que l’on oubliera vite la coupe de cheveux ou le fait qu’elle porte une jupe ….. pour se consacrer sur sa contribution professionnelle …

Idéalement, il faudrait quand même qu’il y ait plus qu’une femme qui siège ensemble pour qu’il y ait une bonne répartition et une bonne acception, un bon renforcement de cette légitimé de siéger avec une diversité de genres. Mais à ce niveau de compétences et d’échanges, à mon avis, le discours H/F n’a plus sa place, on parle de personnalités. En tous les cas c’est ce que j’ai vécu personnellement.

Concernant l’engagement du Conseil pour épauler le CEO en période de crise, j’aimerais vous donner l’exemple du Conseil d’Administration de l’Helvetia Assurances, Gagnante du Prix du Cercle 2021, où c’est une femme qui est Présidente, Mme Doris Russi-Schurter. Elle a tenu à s’impliquer fortement pendant la période COVID, en convoquant des conseils hebdomadaires, même restreints. Ce n’est pas tous les CA qui ont fait ça. Est-ce que c’est dû au fait qu’elle soit une femme ? Difficile à dire, mais en tout cas, C’est dû à la personnalité et à la rigueur de travail d’une personne très impliquée.

Ce qu’on peut voir, c’est peut-être comment les hommes réagissent ?

Dans les générations plus anciennes, il est clair que les hommes voient deux types de femme. Ils ont l’habitude de voir les femmes à la maison, souvent peu actives professionnellement parlant. Tout d’un coup, ils ont fait face à des personnalités engagées dans leur profession au même niveau qu’eux. Donc, il y a une dichotomie à laquelle ils ont dû faire face et qui était peut-être surprenante. 

Parce que c’était facile de savoir son épouse à la maison ou en emploi partiel, selon un stéréotype bien défini, une situation peut-être moins exigeante, ou peut-être pas. Mais en tout cas une femme à laquelle ces messieurs ne confrontaient par leurs compétences. Je pense que dans ces générations plus anciennes, l’arrivée d’une femme au Conseil peut être une découverte positive de sujets de discussion partagés. Les jeunes générations n’ont plus ces questionnements-là. Peut-être qu’aujourd’hui, la nécessité de rechercher des femmes aux compétences égales afin de pouvoir publier ce pourcentage dans les rapports d’activités, peut créer un malaise, et déranger. Et c’est dommage, car c’est une méconnaissance de la performance que peut générer une diversité bien gérée.

Quelle est la situation en Suisse en ce qui concerne la présence des femmes dans les CA ?

Au CSDA, nous basons nos constats sur le rapport Schilling qui analyse en Suisse les 120 plus grands employeurs des secteurs publics et privés. 2021 compte 24% de femmes contre 23% en 2020, donc une légère progression. Ce qui est intéressant, c’est que sur les nouveaux mandats attribués en 2021, un tiers l’ont été à des femmes. C’est une forte progression qui montre qu’il y a plus de femmes disponibles, et qu’il y a un intérêt des Conseils à renouveler leurs sièges avec plus de diversité.

Nous sommes souvent contactées pour proposer des candidates. Nous ne le faisons pas, parce que ce n’est pas le but de l’association. Le fait est que nous sommes plus sollicitées qu’auparavant.

Et puis il y a l’évolution de la loi sur la SA, dont l’article Art. 734f du CO, indique qu’à partir de 2026 les sociétés quotées qui n’ont pas 20% de femmes à la direction et 30% de femmes au Conseil devront en expliquer la raison dans leur rapport annuel. C’est incitatif, il n’y a pas d’obligation, pas de contrôle, etc. Mais la part de 30% est clairement souhaitée dans les Conseils. On verra comment la situation va évoluer dans les prochaines années. 

En France, cette part est à 45%, mais il y a des quotas. En Allemagne, les quotas sont en train d’être mis en place (2021). La loi approuvée par le gouvernement allemand vise à obliger les grandes entreprises cotées en Bourse à nommer au moins une femme dans leur conseil d’administration…(Reuters).

Dans les Conseils d’Administration des quelque 100 plus grandes entreprises cotées, les femmes ne représentent que 11,5% des sièges.

Comparée à d’autres pays, la Suisse est donc plus ou moins efficace, selon la base de l’échantillon utilisé. Dans les entreprises familiales, le nombre de femmes est plus important. Mais il y avait seulement 16,8% d’administratrices enregistrées dans l’ensemble des entreprises suisses, y c les PME, selon le rapport Business-Monitor de 2018. Et il y a encore 35% d’entreprises qui ont aucune femme dans leur CA (Rapport Schilling).

Compte-tenu de la réalité du travail dans un CA, quelle perspective pouvez-vous donner aux jeunes étudiantes et futures cadres pour faire entendre leur souhait d’intégration à tous les niveaux d’une entreprise ?

La première question que les étudiantes vont devoir se poser, lorsqu’elles lanceront leur propre entreprise ou rejoindront un poste de direction, c’est comment est-ce qu’on travaille avec un Conseil, quand on devient CEO. Comment est-ce qu’on met à profit toutes les compétences du Conseil, sans se le mettre à dos, parce qu’en tant que CEO, on est nommé par le Conseil. Ou alors pour celles qui vont créer une entreprise, c’est vrai qu’à un moment donné, il y aura peut-être besoin d’un Advisory Board, conseil consultatif qui peut être une première étape avant la création du Conseil d’Administration. Donc, comment est-ce qu’on travaille avec ces personnalités diversement compétentes et externes à l’entreprise que l’on a soi-même créée. C’est une autre approche du management, mais c’est important de l’appréhender.

Jusqu’à maintenant on ne parlait pas du niveau du Conseil à des étudiants sortant d’un Bachelor ou d’un Master parce que c’est une deuxième étape dans une évolution de carrière. Cela dit, c’est bien de leur faire réaliser que ce niveau existe. Mais que s’ils veulent à terme entrer dans un CA, ils doivent glaner des compétences métier, de l’expérience humaine et l’expérience de gestion d’entreprise avant d’arriver au niveau du Conseil, organe de gouvernance et de surveillance de l’entreprise. 

L’engagement professionnel au niveau du Conseil ne doit pas poser la question homme/femme, car ce ne sera plus le discours du futur. Il est vrai que les membres des Conseils, les administrateurs actuels, craignent la revendication féministe. On ne veut pas avoir de polémique au sein d’un Conseil. Idéalement un Conseil doit être composé de personnes qui travaillent de manière collégiale, mais sans complaisance. On ne veut pas donner une dimension politique à la discussion. Ce qui importe, c’est la légitimité des compétences, acquises, du travail ensemble, du construire ensemble, de l’écoute. De toute manière, l’entrée dans un Conseil diffère de l’entrée dans une entreprise. Quand on entre dans une entreprise, on vient pour être à l’écoute, mais aussi pour affirmer ses idées, ses propositions. On doit faire sa place. L’ego joue encore un rôle important. Même si on parle aujourd’hui de l’osmose dans le travail, et du rôle de coach d’un cadre, il a quand même toujours sa place à faire. Tandis que dans un Conseil, quand on reçoit le mandat, la place est attribuée. L’important est de montrer comment on peut arriver à comprendre rapidement ce à quoi les autres contribuent, ce que l’entreprise est et veut devenir, et comment on peut challenger les débats, les projets, les données chiffrées pour mieux accomplir cette mission. Donc, pour légitimer son parcours, et son envie de siéger dans un Conseil, il faut vraiment renforcer ou acquérir les soft skills permettant de travailler ensemble, et faire valoir ses compétences particulières qui apporteront un éclairage nouveau aux autres membres du collège (digital, RH, fusion-acquisition, développement international…) Mais on ne vient pas dans un Conseil pour donner des leçons. C’est dépassé. Il est vrai que pour des jeunes étudiantes, on ne sort pas des études pour entrer dans un Conseil. Pour pouvoir y siéger on doit pouvoir conjuguer expertise, compétences métier, mais aussi expériences de gestion d’entreprise, d’équipes et de projets.

Les CA dans lesquelles siègent des femmes ont-ils des super pouvoirs ?

Il y a un certain nombre de statistiques qui montrent que la diversité augmente la performance, mais à mes yeux même si j’en suis persuadée, ces données ne reflètent qu’une tendance et sont délicates à utiliser. Car il y a beaucoup de facteurs qui influencent la performance. Des éléments externes et internes, historiques. C’est difficile de dire que c’est la présence des femmes au sein du Conseil ou même la composition du Conseil qui a vraiment influé sur la performance de tel résultat annuel. On sait bien qu’il y a des décisions qui ont besoin de plusieurs années pour porter leurs fruits et les analyses sont à lisser sur plusieurs années.

Par contre, la personnalité du Président ou de la Présidente influence le travail en synergie et le fait d’identifier et d’accompagner de nouvelles recrues pour compléter et maximiser la valeur ajoutée du Conseil.

C’est une gestion d’entreprise dans l’entreprise. Cela nécessite d’avoir les bonnes personnes autour de la table. Et puis d’avoir des gens qui consacrent du temps à leur Conseil. Qui viennent préparés aux réunions. Qui viennent avec des idées. Qui remettent en question des décisions qui sont proposées au Conseil. Et enfin, qui prennent leurs responsabilités. Il y a régulièrement des affaires qui sortent dans la presse et qui mettent en cause les responsabilités de Conseils d’Administration. On se dit comment telle chose a pu se passer sans que le Conseil soit au courant. C’est le rôle du Président de rappeler ces responsabilités, et de mener son Conseil. Alors, pour répondre à la question. Super pouvoirs, je ne pense pas que c’est une question hommes – femmes, je ne pense pas que c’est forcément la diversité qui à elle toute seule donne une réponse, mais c’est vraiment l’analyse des besoins en compétences, la composition, l’orchestration des séances et des décisions, la vision, le bon choix du CEO, le bon suivi de la conformité avec le cadre réglementaire et des résultats, et la curiosité du Conseil qui font les ingrédients de la bonne recette.

Quel est le feedback des femmes qui siègent dans les Conseils au sujet de leur parcours ou de leurs expériences ?

Toutes nous disent que le premier mandat dans un Conseil est très difficile à obtenir. Parce que passer la porte du Conseil pour postuler ne se fait pas comme lorsque l’on postule pour une place de cadre dans une entreprise. Obtenir ce premier mandat se fait par du réseautage. Les réseaux dans lesquelles on rencontre des Présidents de Conseil ou des Administrateurs ne sont pas du tout les mêmes que ceux dans lesquels on rencontre des cadres ou des clients. Il s’agit vraiment de qualifier les réseaux pour ne pas perdre en image et en énergie, d’obtenir la légitimité, la visibilité de ses compétences par des articles, des interventions publiques, les réseaux sociaux. 

C’est pour cela qu’au sein du Cercle, on organise plusieurs tables rondes dans lesquelles on fait intervenir des membres du Cercle. C’est pour présenter nos préoccupations quant à l’importance des bonnes pratiques de gouvernance, mais aussi pour montrer l’étendue et la qualité des compétences professionnelles de nos membres. Si c’est un fait que le premier mandat est difficile à décrocher. Ensuite les autres mandats s’obtiennent par le réseau, parce qu’en général chaque administrateur a plus d’un mandat. Une fois que l’on siège dans un Conseil, et que nos compétences sont appréciées, le réseau permet d’ouvrir d’autres portes.

Quant à la question de savoir s’il a été difficile d’intégrer le Conseil, je dirais non, parce que les femmes qui sont à ce niveau professionnel savent appliquer le savoir-être professionnel faire valoir ses idées, convaincre, cela fait partie de leurs compétences de base. 

J’ai également entendu quelques remarques liées au fait que les administratrices-administrateurs nouvellement recrutés venaient bien préparés, mais s’apercevaient que leurs homologues n’étaient pas tous organisés pour la séance. Donc, tout d’un coup, il y a un petit peu plus de rigueur qui s’installe par le fait qu’une ou deux personnes nouvelles-venues apportent cet influx.

Il y a aussi d’autres retour, comme : « nous, on s’est jetées à l’eau froide… ». Plutôt rare pour des femmes, qui s’engagent d’habitude avec beaucoup de prudence et un besoin excessif de se sentir préparées, et capables à 100%, avant de s’engager dans un nouveau défi. Mais ces administratrices affirment qu’elles ont beaucoup appris sur le tas et que c’était extrêmement motivant. Il y a tout un apprentissage qui se fait, de l’entreprise, des métiers de l’entreprise, qui ne sont peut-être pas les métiers qu’elles maîtrisaient jusqu’alors. Je pense par exemple à une administratrice recrutée pour ses compétences uniquement financières et à qui on propose un mandat au sein d’une entreprise horlogère. La découverte est forcément passionnante.

Sur soi-même, on apprend ce que l’on découvre toujours en progressant dans la vie, c’est qu’on ne sait rien. Plus on apprend, plus on voit l’immensité de la méconnaissance et des compétences que l’on peut encore acquérir. Donc, c’est passionnant, challenging et ongoing.

Si vos lecteurs et vos étudiants souhaitent voir les communications des rapports de nos membres administratrices, ils peuvent consulter les Portraits « Femmes Leaders » Bilan.ch, https://cercle-suisse-administratrices.ch/femmes-leaders/ qui proposent chaque mois une interview de l’une de nos membres sur son parcours d’administratrice. Il y a des témoignages intéressants et qui concernent divers secteurs. 

 

Quelques données en chiffres 

Rapport Schilling: https://www.schillingreport.ch/de/schillingreport-2021-f/

Business Monitor – égalité des genres : https://business-monitor.ch/fr/reports/gender-equality-2019

Propos recueillis par David Claivaz