En cette période de déconfinement et d’incertitude, le Cercle Suisse des Administratrices propose une série d’articles et de témoignages de ses membres administratrices. Chacune nous livre, à sa manière, son point de vue sur la situation économique actuelle.
Retrouvez tous les articles de la série sur www.csda.ch/comite-de-redaction. Ces articles ne reflètent pas forcément la position du Cercle Suisse des Administratrices et n’engagent que leur auteure.
Aujourd’hui, Anne-Claire Pliska nous propose «Lorsque la crise ouvre des fenêtres d’opportunité…»
Avoir le bon produit au bon moment. Cela pourrait être en quelque sorte le résumé de l’histoire de Eric Yuan, qui a créé Zoom en 2011. La capitalisation de Zoom Video Communication, dans laquelle il détient 22% des actions, est passée de 15 milliards $ fin 2019 à plus de 35 milliards $ aujourd’hui. Plus proche de chez nous et certainement moins médiatisée, Hamilton Medical est aussi un des grands gagnants économiques de la pandémie actuelle. La société a dû augmenter en quelques semaines sa capacité de production d’appareils respiratoires de plus de 50% pour livrer les gouvernements et les hôpitaux partout dans le monde.
Deux exemples de sociétés en conjonction de phase avec la crise. Des exceptions, en fait. La grande majorité des entreprises subissent et subiront encore les mesures sanitaires mises en place et le ralentissement de l’économie, avec un recul prévu du PIB de 6.7% en 2020 (source : SECO, 23 avril 2020). Quelle peut donc être la réponse immunitaire de ces entreprises pour s’adapter à cette nouvelle situation, qui est amenée à perdurer?
Dans la gestion aiguë de la crise, l’objectif des entreprises, en état d’alerte face à un élément pathogène, est de permettre la continuité des activités malgré les contraintes de distanciation sociale.
- Mesures sanitaires de protection des employés: La mise en place de mesures de team-splitting, très prisée dans les banques, ou plus simplement, et si ce n’était pas déjà chose courante, de télétravail.
- Mesures collatérales de mise en place et formation aux outils numériques collaboratifs pour maintenir le contact entre les employés dispersés.
- Mesures financières: Le maintien autant que possible de la liquidité pour faire face à une diminution prévisible du chiffre d’affaires, en réduisant les coûts et en utilisant les facilités mises en place par les pouvoirs publics (confédération, cantons) et les banques. Des entreprises sous perfusion de solutions vitaminées.
Passée la phase inflammatoire, c’est au tour du système immunitaire adaptatif de prendre le relais. Bref, en d’autres termes, après une phase opérationnelle intense, les entreprises doivent pouvoir repasser en mode stratégique le plus rapidement possible afin de trouver une solution à la crise sur la durée:
- Adaptation des produits et/ou services: est-il possible d’utiliser les forces de l’entreprise pour établir à court et moyen terme un avantage concurrentiel de la société sur le marché? J’aime citer l’exemple d’une société bernoise qui développe des capteurs pour le comptage du trafic, et qui a su en quelques semaines adapter son produit pour proposer de nouveaux services de prévention de rassemblement dans les lieux publics. Ou encore de sociétés proposant des écrans à affichage dynamique et de sociétés de facility management qui ont rapidement adapté leur offre pour proposer des applications de comptage de personnes, une solution particulièrement utile dans les commerces de détail.
- Accélération de la transformation digitale: il s’agit en quelque sorte, pour reprendre la formule consacrée, de mettre en place “une transformation digitale aussi vite que possible, et aussi lentement que nécessaire”.
La crise actuelle accélère les processus de digitalisation des services. Stephan Metzger, CDO de la ville de Lucerne, a reconnu que la pandémie et ses conséquences sur nos modes de travail et de communication a déjà permis de gagner 2 à 3 ans dans le calendrier de la transformation numérique de la ville (Luzerner Zeitung, 6. Avril 2020).
Ce saut quantique, dans un monde où tout déjà s’accélérait, peut devenir pour les sociétés qui ne sont pas préparées un saut dans le vide. Sans parachute.
- Amélioration des processus dysfonctionnels: la crise représente une chance inouïe d’identifier et de corriger des processus ou des méthodes qui sont par défaut néfastes pour l’entreprise. Car la crise ne permet plus de faire des compromis.
Une culture d’amélioration continue et l’innovation dans les processus doivent permettre de gagner en efficacité et en efficience, qui deviennent les maîtres mots dans l’organisation.
Entre source de difficultés et remède à bien des maux, la crise a donc deux visages. Dans ce contexte, je suis convaincue que le rôle du Conseil d’Administration est de contribuer à raccourcir la durée de la phase inflammatoire et de s’assurer que les entreprises produisent les anticorps aussi rapidement que possible.
De faire en sorte que la crise soit perçue comme une opportunité, que dis-je, une obligation d’évoluer.
Afin de garantir l’équilibre entre l’urgence et une réponse à la crise sur le long-terme, il me semble essentiel que le Conseil d’Administration:
- connaisse l’entreprise, ses marchés, ses forces et ses faiblesses, de manière approfondie.
- comprenne les sources et ressources de résilience de l’entreprise.
- s’assure qu’un cadre stratégique structuré soit opérationnel, afin qu’il soit rapidement effectif en période de crise, et base de travail d’une évaluation des opportunités, et d’une réévaluation des priorités.
C’est le rôle du Conseil d’Administration de créer les conditions-cadres pour que soient prises rapidement des mesures proactives -et non plus seulement défensives- et permettre aux entreprises d’aller de l’avant. Source de difficultés, la crise doit également représenter une chance pour les entreprises de progresser en mode accéléré et de renforcer leur système immunitaire. Elle sera quoi qu’il en soit un instrument de mesure de l’agilité et de la résilience des entreprises. Celles de leur Conseil d’Administration, en particulier.
© Anne-Claire Pliska
Anne-Claire Pliska est directrice d’INNODRIVE. Elle partage son expérience dans le développement de stratégie d’entreprise et dans la gestion de l’innovation, en particulier dans les secteurs du bâtiment, de la mobilité et de l’énergie. Entrepreneur, elle investit par ailleurs dans des projets et des start-ups, et contribue activement à leur développement. Dans le cadre de ses activités, elle a fondé et elle dirige l’association économique SmartCity Alliance, contribuant à faciliter la digitalisation des infrastructures et services communaux. Anne-Claire est membre du conseil d’administration de BG Bonnard et Gardel Holding Inc, active dans l’ingénierie des infrastructures, et de la coopérative openmobility, qui développe une infrastructure digitale ouverte pour les applications MaaS (Mobility-as-a-Service). Trilingue Fr-En-All, Anne-Claire est titulaire d’un doctorat en physique de Paris XI et a suivi une formation complémentaire en gestion d’entreprise à l’ETHZ et en droit des affaires à l’Université de Saint-Gall. Elle est membre du Cercle Suisse des Administratrices depuis bientôt 2 ans.