Décembre 2021 – Série n°5
Une nouvelle série d’articles proposée par les membres du Cercle Suisse des Administratrices. Retrouvez tous les articles de cette série, et des précédentes, sur www.csda.ch. Ces articles ne reflètent pas forcément la position du Cercle Suisse des Administratrices et n’engagent que leur auteure.
Aujourd’hui, Anne-Cathrine Frogg vous propose “Diversifier les conseils d’administration : mieux vaut un effort aujourd’hui qu’une réglementation demain”.
La Suisse souffre de sous-représentation féminine dans les sphères dirigeantes de son économie, avec seulement 18.4% de postes de conseil d’administration occupés par des femmes selon une étude de Deloitte de 2019. Ceci contraste avec la Norvège qui est à 41%, la Suisse venant loin derrière en 21ème position. Il serait souhaitable que la situation évolue naturellement avant de se voir imposer une réglementation plus contraignante. Idéalement, une entreprise serait convaincue des vertus de cette diversification en en comprenant les avantages. Tentons d’apporter des éléments de réponse et solutions pour aider les volontaires de la diversité qui ont la motivation de fournir cet effort.
La transition sociétale s’opérant sur le plan mondial émerge d’un questionnement des bases sur lesquelles s’est construite cette société. Une transition rapide ne pourrait exister, car nous jouons avec des normes et traditions ancrées depuis des centenaires, voire des millénaires. Cette structure de société s’est établie sur un système de pouvoir patriarcal, difficile à secouer et fluidifier. Néanmoins, ces dernières années #MeToo, scandales et dans une certaine mesure COVID-19, ont accéléré les questionnements autour de ce système.
En Suisse nous ne sommes pas précurseurs du changement, et nous n’aimons pas forcer la main par des réglementations imposés. La Suisse aime le changement qui vient du peuple, des consommateurs, des électeurs, par des initiatives, et par un lent ajustement, sans chocs, sans révolution. Comme nous l’a si bien dit Alain Berset, dans un autre contexte certes, « Il faut agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire ». Cette citation n’aura jamais été aussi juste qu’en observant l’évolution de la composition des conseils d’administration et la représentation féminine dans les directions des entreprises en Suisse, et en particulier dans son industrie bancaire et financière.
La Suisse est un des leaders mondiaux de la finance durable, comme en témoigne actuellement la conférence des Building Bridges, mais aussi son industrie de microfinance, ainsi que les associations tels que Swiss Sustainable Finance et Sustainable finance Geneva. Nous sommes témoins d’une volonté politique et économique de faire avancer notre place financière, de s’identifier fortement avec la finance durable et d’asseoir cette place de précurseur dans la durée sur le plan mondial. Or, malgré cette volonté nous tardons à voir une discussion sérieuse autour des éléments de société et de gouvernance, focalisant principalement sur le climat et l’environnement, ce dernier n’étant évidemment pas remis en question. En matière d’égalité salariale, de transparence ou de bonne gouvernance en termes de diversité, l’évolution est lente et les impulsions des autorités sont timides et rencontrent systématiquement des oppositions au niveau parlementaire.
L’effort doit venir de l’entreprise et de ses parties prenantes. Implémenter une bonne diversité dans les instances de décision, la direction ou le conseil d’administration, ne touchera qu’à moitié la cible. Dans les entreprises cotées, qui doivent répondre à des actionnaires et des assemblées générales, des candidatures féminines se proposent plus souvent. Néanmoins, un regard n’est pas forcément posé sur la diversité au sein de l’entreprise. Diversifier son management est une tâche plus ardue. Soit on engage des personnes venues de l’extérieur avec un profil correspondant, soit on cherche à promouvoir une candidature au sein de l’entreprise. Capitaliser sur les talents internes, sur lesquels l’entreprise a investi, qu’elle a formé et accompagné demande également que ce pool de capital humain soit représentatif de la diversité recherchée. Dans ce cas de figure l’horizon temps s’étend bien plus, et doit s’accompagner une réelle refonte des processus de recrutement, d’impulsions données par la direction, de formation, d’accompagnement de carrière, d’écoute et de flexibilité du travail. Le résultat de cet effort sera un management plus diversifié, des comités de direction diversifiés, et in-fine, un conseil d’administration diversifié. Or, cela demande une remise en question et un profond changement dans le processus décisionnel. Pour l’entreprise et ses employés cette remise en question demande qu’on adresse des sujets bien présents, tels que l’existence d’un plafond de verre, la flexibilité pour des employés de gérer leurs contraintes familiales, d’accès à un temps de travail flexible, des accompagnements d’empowerment et programmes de mentoring.
Une volonté de changement doit s’inscrire au sein des directions et conseils pour donner des nouvelles impulsions stratégiques. Et là nous nous retrouvons au cœur du sujet. Telle que la gouvernance des sociétés est construite en Suisse actuellement, il n’y a pas de récompense immédiate à diversifier, mais plutôt des sacrifices à faire. Le fonctionnement de l’attribution de postes dans un conseil d’administration en Suisse est basé principalement sur un système de cooptation, exception faite selon le profil public ou cotée d’une entreprise. Or, pour la grande majorité des entreprises nous nous retrouvons entre mandats éternels, népotisme, confort, et copinage. Ainsi, diversifier son conseil d’administration suppose que des membres démissionnent, partent à la retraite, ou soient demandés de partir pour laisser la place à la diversité, à moins d’augmenter le nombre de membres du conseil. Le constat est simple ; les membres de ces conseils ne tirent aucun bénéfice personnel de procéder à ces changements. Par la suite, si un poste se libère, il ne s’agira plus de simplement appeler ses connaissances pour remplacer, mais de faire une vraie recherche pour identifier des candidatures qui sortent des sentiers battus.
« Mais je ne trouve pas de femmes intéressées/disponibles/compétentes/… ? »
Ce commentaire revient moult fois dans la bouche de personnes cherchant à diversifier leurs directions ou conseils d’administration. Comment répondre ? « Elles sont juste là. Regardez, je les vois moi. » Avec bientôt 30 ans de carrière dans la finance, je peux établir une liste d’au moins quinze femmes candidates potentielles pour ce type de poste dans la finance et des secteurs qui s’y apparentent en une minute. Elles sont bien là les candidatures, dans toute leur diversité, leurs formations, expériences, connaissances et volonté.
Elles sont peut-être moins visibles, pour une panoplie de raisons, mais cela relève d’une discussion que nous n’aurons pas l’ambition de traiter dans ce récit. Quelle est alors la meilleure façon de procéder pour identifier ces candidatures ? Il faut fournir un effort, remettre en question nos procédures et habitudes, mettre en œuvre son réseau différemment, oser appeler des personnes hors de notre zone de confort, s’appuyer sur des organisations et associations existantes, tels que le Cercle Suisse des Administratrices ou des associations professionnelles telles que 100 Women in Finance, Femmes PME, ou engager un chasseur de tête. Les candidatures seront là.
« Le plus important c’est la compétence. »
Évidemment! Ne prononcez plus cette phrase, c’est presque une insulte. Cela traduit la perception qu’il y a un manque de compétences, que parce que femme le vivier est si petit que nous perdons forcément en compétences. La compétence est bien là, et elle est accessible. Il faut savoir aller chercher cette compétence, et c’est cet effort, justement, qui est le premier pas vers la diversité, et de commencer à construire un vivier de diversité depuis le bas. C’est bien là le fruit de ce que l’on recherche ; la différence pour mieux répondre aux besoins de la société, d’une entreprise, de ses actionnaires et de ses clients – dans toute leur diversité.
Soyons cohérents, montrons l’exemple en avançant sans qu’une réglementation ne nous soit imposé. Les performances de l’entreprise sont primordiales, les études et données montrent que la diversité y contribue. Ayons du courage pour innover, proposer des candidatures et des politiques d’engagement favorisant la diversité, de procéder à cette remise en question de fond en comble, et imposer au sein de l’entreprise des règles claires pour guider le management, et ainsi pouvoir fièrement déclarer que l’entreprise contribue au bien-être environnemental, sociétal et de bonne gouvernance qui désormais est attendue et nécessaire.
(c) Anne-Cathrine Frogg
JELA Capital Sàrl
Anne-Cathrine Frogg est fondatrice de JELA Capital, opérant en tant que conseillère et administratrice indépendante de fonds d’investissement, et d’un gérant d’actifs Suisse autorisé FINMA. Elle est membre du Conseil et présidente de la commission financière d’une fondation abritante Suisse. Elle cumule une expérience de plus de 25 ans dans le domaine financier en tant que cofondatrice de Hugo Fund Services, et gérante de portefeuilles de fonds alternatifs auprès de Mirabaud & Cie, Agora Capital Services et la Banque Franck. Ses expertises couvrent l’investissement, la réglementation suisse et européenne de distribution de fonds ainsi que la finance durable. Anne-Cathrine détient un Master en Relations Internationales du Graduate Institute of International Studies à Genève.