Mai/juin 2021 – Série N°4
Au sommaire de cette nouvelle série d’articles proposée par les membres du Cercle Suisse des Administratrices : dessiner la ville, viser la lune, valoriser les diamants bruts, repenser le lean, dynamiser les réseaux professionnels. Une variété de sujets qui témoigne, une fois encore, de la nécessité de penser la gouvernance d’entreprise à 360 degrés afin d’actionner tous les leviers pour saisir les opportunités !
Retrouvez tous les articles de l’actuelle série, et des précédentes, sur www.csda.ch. Ces articles ne reflètent pas forcément la position du Cercle Suisse des Administratrices et n’engagent que leur auteure.
Aujourd’hui, Nathalie Feingold vous propose “ La gouvernance s’adapte au monde agile”
L’agilité s’est immiscée dans tous les domaines de l’entreprise depuis une trentaine d’années, présentée comme la panacée sensée la guérir de tous ses maux : silos, complexité organisationnelle, coûts opérationnels…. Certes vertueuse, ses bienfaits ne doivent toutefois pas faire oublier qu’elle nécessite beaucoup d’investissement pour produire ses effets, car entreprise agile signifie structures et gouvernance agiles, un vrai challenge.
Facilitée par l’émergence du digital et des approches data-driven, l’agilité est devenue en ce début de 21ème siècle un des piliers de la réussite entrepreneuriale : s’adapter au marché, écouter le client et pivoter, flexibiliser les ressources et les systèmes, réduire les cycles décisionnels, limiter les stocks et le gaspillage en produisant juste à temps …
L’entreprise agile connait de multiples définitions : Toyotisme, Lean startup, Manifeste Agile… Toutefois son résultat fait consensus : elle est performante. Désencombrée du superflu, elle est fit, à l’instar des femmes et des hommes performants d’aujourd’hui.
Mais derrière ce storytelling alléchant, il y a la réalité des entreprises et du contexte actuel qui invitent à penser cette approche jusqu’au plus haut niveau de l’entreprise.
Tout d’abord, beaucoup ont vu, derrière l’idée originelle de l’entreprise agile, une source de savings, un moyen de réduire les coûts drastiquement. Ainsi, sous ce prétexte, on prône la flexibilité (notamment flexibilité du travail) et la frugalité des méthodes lean (baisse des moyens, des stocks, du cash…).
Si ce raccourci fonctionne au niveau de la forme physique (je maigris ó je cours plus vite…), cela n’est pas si vrai au niveau d’une entreprise : moins de stocks, moins de moyens, moins de compétences… Cette interprétation réductrice est en fait la recette vers moins de souplesse.
En effet, agilité signifie capacité à changer pour faire face aux évolutions du marché et aux turbulences. La période actuelle marquée par la pénurie mondiale de composants électroniques et la hausse annoncée des prix des matières premières invite à revoir cette approche. Reconstituer des stocks serait une stratégie gagnante dans certains cas. Encore faut-il avoir le cash nécessaire et les produits disponibles dans des usines qui affichent complet[1]. De même, les entreprises qui ont trop tiré sur les coûts et usé de flexibilité à l’extrême ont parfois des salariés/consultants/prestataires au bout du rouleau, usés jusqu’à la corde qui ne sont ni prêts à subir une crise qui s’éternise, ni assez vaillants pour assumer la reprise.
Au contraire, et c’est le second point, l’agilité suppose des investissements. En devenant plus véloces, les métiers doivent être dotés d’un cadre véloce lui aussi. Investir dans des outils de pilotage souples et des systèmes d’information efficaces, capables de s’adapter aux évolutions rapides des métiers et de l’organisation. Valoriser les idées à tous les échelons de l’entreprise, surtout dans le monde digital où les savoir-faire ne sont plus toujours descendants. Tout en prenant en compte un besoin accru de gouvernance des données et de cybersécurité lié à l’utilisation massive d’analyses quantitatives et qualitatives, d’objets connectés et autres sensors, d’outils collaboratifs et de clouds, de réunions à distance, etc. Autant de dépenses qui accompagnent cette nouvelle façon de travailler.
Face à ces changements profonds, la gouvernance s’adapte dans toutes ses missions de contrôle, de définition de la stratégie et de nomination : le reporting se doit d’être plus performant (modulable, rapide …), les décisions s’appuient sur plus d’incertitude, les réunions sont plus fréquentes et à distance … Marc Verspyck[2] invite à adopter « un mode agile, y compris au sommet de la gouvernance d’entreprise ! » La gestion des cadres et dirigeants s’aligne avec ce qui précède et s’engage à développer une culture d’entreprise favorable. Car, comme le dit Gilbert Caillet-Bois[3], une culture agile ne se décrète pas.
En conclusion, l’agilité est une vertu mais sans doute pas une panacée. Résumer l’agilité à la flexibilité du travail et à la frugalité mène à l’érosion des ressources et de la création de valeur. Au contraire, elle nécessite des investissements à tous les niveaux pour produire ses effets positifs, jusque dans la gouvernance.
© Nathalie Feingold
Après avoir mené une carrière dans la Banque, Nathalie Feingold a créé NPBA, société suisse spécialisée dans la gouvernance des données et des entreprises.
Passionnée d’innovation, Nathalie est business angel et administratrice d’une société d’investissement de business angel. Elle est membre de plusieurs comités stratégiques dans des entreprises technologiques, enseigne le Lean Canvas aux Gobelins, campus Annecy et est membre du comité de sélection de Pulse Incubateur HES à Genève.
Nathalie est titulaire d’un DEA d’économie de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et d’un Master d’économie de l’Université Paris IX Dauphine. Elle a été membre du Comité du CSDA en 2019 et 2020.
[1] Un bel exemple : https://www.howardyu.org/you-cant-buy-a-new-car-because-of-semiconductor-storages/
[2] Les Echos (5 mai 2020) : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-gouvernance-des-entreprises-passer-en-mode-agile-1200576
[3] Table ronde « Etre agile en entreprise » organisée par le Clusis et la Fédération des entreprises romandes, 26 mai 2021