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“L’eau froide ne gèle pas toujours plus vite que l’eau chaude. L’inverse non plus d’ailleurs, bien au contraire.” par Anne-claire Pliska

L’eau froide ne gèle pas toujours plus vite que l’eau chaude. L’inverse non plus d’ailleurs, bien au contraire.

“THE MUST READ BOOK” : Une série dans laquelle les rédactrices du Cercle Suisse des Administratrices vous recommandent des lectures qui les soutiennent dans leur activité professionnelle.

Retrouvez tous les articles de cette série, et des précédentes, sur www.csda.ch. Ces articles ne reflètent pas forcément la position du Cercle Suisse des Administratrices et n’engagent que leur auteure.

Aujourd’hui, Anne-Claire Pliska vous parle du Goût du vrai d’Etienne Klein, collection Tracts, Gallimard.

Il y a des personnalités que les crises permettent de découvrir. En Suisse, nous avons Marcel Salathé, épidémiologiste à l’EPFL; En France, nous avons Etienne Klein, philosophe des sciences.

Alors que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer le premier dans le cadre de mes activités professionnelles, j’avoue avoir découvert le second ces derniers mois. Peut-être une sorte de synchronicité entre d’une part mes propres réflexions -très modestes- sur le tourbillon médiatique et pseudo-scientifique couvrant la pandémie et d’autre part la mise en lumière d’un intellectuel plein de bon sens, qui analyse avec une grande justesse et quelques bouffées de dérision les travers d’un populisme scientifique. 

J’ai eu connaissance de la publication de son ouvrage “Le goût du vrai”, que j’ai lu avec intérêt pendant la trêve de fin d’année 2020. Une prise de recul salvatrice, un traité sur la notion de vérité scientifique, mais également sur les travers de la Société de tenter d’avoir une opinion sur tout, alors que les connaissances scientifiques elles-mêmes ne sont pas suffisamment avancées.  « Je ne suis pas médecin, mais je pense que… »  E. Klein fait remarquer que chacun, désormais, a donc un avis sur la situation sanitaire et sur les informations à caractère scientifique.  C’est l’effet Dunning-Kruger*, que nous vivons en direct depuis plus d’un an.

Dans le contexte sanitaire où pèsent de nombreuses inconnues, force est de constater qu’il n’est pas aisé pour les autorités politiques d’édicter des règles au jour le jour, au gré de l’évolution des connaissances scientifiques, de l’évolution de la pandémie, et de la mise à disposition de solutions thérapeutiques, elles-mêmes sujettes à des procédures de validation qui courent sur plusieurs années. Une pesée des intérêts entre santé publique et santé économique est au cœur des décisions qui jalonnent nos quotidiens personnels et professionnels depuis plus d’un an.  

Les mesures mises en place pour limiter la propagation du virus prévoient un confinement dans un cercle de 1 km de rayon. Puis 10 km, enfin 100 km. Ici, c’est un couvre-feu à partir de 18h00 ou encore 19h00. Plus loin (ou plus près en l’occurrence), des restaurants ouverts dans le canton de Zürich, mais pas en Suisse romande. Etc… 

Pourquoi ces chiffres? Pourquoi ces variations nationales et cantonales? Je ne sais pas. Mais peu importe. Parfois il faut juste arrêter de vouloir comprendre, avoir la sagesse d’accepter ce que l’on ne peut changer, appliquer ce qui doit être appliqué, pour la simple et très bonne raison de préserver sa santé mentale. Comme pour le cas de l’eau chaude qui gèle plus ou moins vite en fonction des circonstances, la science n’est pas encore suffisamment avancée et ne peut expliquer tous les phénomènes observés jusqu’à présent dans le cadre de cette pandémie, ni les décisions des autorités qui en découlent. 

La gestion de la crise sanitaire par les autorités politiques de tout pays fait résonner -ou raisonner- en moi la notion de “bounded rationality” de Herbert Simon, que l’on retrouve en entreprise. La complexité des marchés aujourd’hui, leur volatilité, leur ambiguïté, nous forcent à prendre des décisions sans que l’on puisse tout maîtriser, sans qu’une analyse exhaustive coût-bénéfice puisse être faite systématiquement. Dans ce contexte également, la rationalité et l’intuition doivent former un duo qui puisse se nourrir mutuellement. 

Pour faire écho à Max Horkheimer “La sauvegarde de la vérité dépend moins de son affirmation réitérée que de la reconnaissance de ses limites”, cité dans le “goût du vrai”, le danger pour l’entreprise dans un environnement incertain réside peut-être davantage dans une surconfiance de ses dirigeants plus que dans l’incertitude de la situation à proprement parler. Dans ce cadre, l’humilité, la nuance dans les propos, et l’agilité de l’organisation semblent être une trithérapie de choix pour éviter les travers de l’effet Dunning-Kruger. Gageons que la situation sanitaire actuelle permette une prise de conscience sociétale sur les responsabilités qui incombent également aux dirigeants d’entreprise, et sur la difficulté de faire les bons choix.

(c) Anne-Claire Pliska

 

Encart

L’effet Dunning-Kruger, du nom de deux psychologies américains, relève d’un double paradoxe:

  • pour mesurer son incompétence, il faut être compétent.
  • L’ignorance rend plus sûr de soi que la compétence. 

Adapté de “le goût du vrai”